Avec Aujourd’hui Eurydice, Claire Dutrait compose une œuvre ouverte, prise entre un livre papier, un livre numérique (avec boucles rétroactives), un site « avant-scène » et des performances... pour donner à voir et à entendre une fable écologique pour aujourd’hui.

Avant-scène d'un opéra
qui n'existe pas…

Pour commencer il y a des enquêtes qui témoignent d’un monde en mouvement : dans l’anse de Port-de-Bouc, dans le bassin de l’Atchafalaya en Louisiane, sur les déchets en Méditerranée. Il y a de quoi perdre ses repères. Enquêtes que je mène et enquêtes que je lis, sur la pétrochimie, sur les pollutions, sur le changement climatique. Elles laissent parfois rêver à une nature perdue… Or nous, terrestres terriens, nous arrivons aujourd’hui à l’ère où cette toile de fond, sur laquelle nous avons pris l’habitude de projeter nos vies, s’anime et devient personnage sur la scène du monde. Qui ne se préoccupe pas aujourd’hui de l’eau bue, de la température qu’il fait, des particules respirées, des terres où encore habiter ? Qui ne rêverait pas de retrouver la nature par delà les enfers de la modernité ? Une nature perdue ? Une descente aux enfers ? Un monde baroque ? Le mythe d’Orphée tel qu’œuvré par Monteverdi s’impose à moi. Car au passage de l’ère baroque à l’ère moderne, le compositeur magistral prend notes d’une descente aux enfers et de la consolation qui la suit. Une ritournelle, toujours la même laisse entendre que les boucles du mythe n’ont pas fini de s’enchevêtrer. J’écoute l’opéra en boucle et découvre une double fin, une bifurcation, qu’avait composée Monteverdi, à côté de l’apollinienne, l’autre dionysiaque. Luxe et calme d’un côté, sans volupté, bacchantes et dissémination de l’autre, et leur violence. Je prends la bifurcation oubliée… pour y trouver aujourd’hui : Eurydice.

Sur les traces d'Orphée

L'approche de Lavéra

Orphée, une caméra Bolex à l’épaule, cherche Eurydice aux enfers… ici sur le site pétrochimique de Lavéra.

À découvrir chapitre II de Aujourd’hui Eurydice

Film 16 mm — 4’38 Conception : Claire Dutrait Réalisation : Gabriel Dutrait

Rituel au vallon du pauvre homme

Orphée, une caméra Bolex à l’épaule, cherche Eurydice aux enfers… ici dans le Vallon du pauvre homme, entre Port-de-Bouc et Martigues.

À découvrir chapitre II de Aujourd’hui Eurydice

Film 16 mm — 1’50 Conception : Claire Dutrait Réalisation : Gabriel Dutrait

Chœur des esprits de l'enfer

Orphée, un Cantar à l’épaule cherche Eurydice aux enfers… et trouve les anciens ouvriers des établissements Kuhlmann-Azur Chimie, à Port-de-Bouc.

À découvrir chapitre III de Aujourd’hui Eurydice

Création sonore documentaire, 37’46, Le Génie du rivage, 2016
Conception et réalisation des entretiens : Claire Dutrait
Création sonore : Stefan Dunkelman
Prise de son : Alexandre Rameaux
Production : Film Flamme

Parade climatique

Orphée, une caméra Bolex à l’épaule cherche Eurydice aux enfers… ici lors de la commémoration d’une catastrophe climatique.

À découvrir chapitre V de Aujourd’hui Eurydice

Film 16 mm — 3’27
Réalisation : Gabriel Dutrait

Écouter Monteverdi

Pour découvrir la narratrice > L'air de la messagère, L'Orfeo, Acte II

« J’ai annoncé qu’Eurydice avait été mordue par un serpent. Dans une fable ancienne, on peut m’entendre – avant dernières paroles – annoncer cela et le chanter. Messagère d’un mensonge. Je l’ai fait. C’était facile, toute la mise en scène le laissait supposer. Le pré humide, la chute dans l’herbe molle, les fleurs dans les cheveux, des fritillaires qui disaient trop l’échiquier de ses désirs. Un secret trop longtemps tenu derrière la barrière de mes dents. »

Aujourd’hui Eurydice, chapitre II

Pour ouvrir le livre > Toccata, L'Orfeo, Prologue

« Orfeo, favola in musica. J’écoute l’opéra. Ouverture en doubles croches ascendantes aux trompettes. Amour. Cet homme est à sa voix ce que cette femme est aux fleurs sauvages. Mariage. Elle prend les choses par la racine et se dérobe. Sa quête à lui pour fléchir à l’aide d’instruments les forces contraires et la ramener en surface. Accord bancal dans les tréfonds de l’enfer. Ça dissone. Il échoue à lui parler sans la regarder. Le pouvoir de la beauté mesurée – Apollon – élève le héros en pleine lumière, où il la retrouve, elle, mais pas elle, en simulacre. » 

Aujourd’hui Eurydice, chapitre II

Pour passer le temps lorsque ça n’avance plus > L'Orfeo, Favola in musica

« Lorsque je dis à Dora que j’ai des nouvelles d’Orphée, elle me parle de son opération, ses allers-retours à la clinique, la sonde, les scanners, les IRM inutiles et les antalgiques qui ne lui font plus d’effet. Silence épais. Je regarde ses doigts qui roulent la mie de pain en petites boules qu’elle dispose en cercles autour de son assiette. Elle se ressert un verre. Ses yeux se plissent, à demi ouverts, dans le souffle qui passe ses lèvres je n’entends pas le nom qu’elle dit, et sa peau frémit, sa peau et la mienne. Orphée en est encore aux actions d’éclats et celle qu’il aime s’est figée sous son regard. Récit bloqué. »

Aujourd’hui Eurydice, chapitre III

Pour suivre l’action > Le chœur des esprits de l’enfer, L'Orfeo, Acte III

« Silence dans le hangar. Un raclement de gorge. Orphée se met à chanter, en italien sur des accents martiaux. Mon collègue me fait signe qu’il ne comprend pas. Je me retourne et lui chuchote la traduction du livret de Monteverdi :

Nulle entreprise par l’homme n’est tentée pour rien Et contre lui la nature ne sait plus s’armer : Sur le plan mobile de la Terre Il a labouré les champs ondoyants, il a semé les graines de ses fatigues et il récolté des moissons d’or et d’argent.

Et Orphée reprend le refrain en mode mineur : Nulle entreprise par l’homme n’est tentée pour rien. Et contre lui la nature ne sait plus s’armer. Orphée passe au ternaire et poursuit la strophe : Il a voulu, l’homme, rendre stables les surfaces instables. Il a canalisé les fleuves et les foules. Il a navigué sur son esquif en méprisant les vents du nord et ceux du sud. Il a exploré l’espace pour y planter bannière. Il a exploité les sols et les populations. Il a séparé. Il a creusé. Il s’est ouvert des carrières. Il a puisé les matières fossiles de la terre jusque dans les mers. Il a fracturé la roche avec de l’eau pour extraire la puissance des souffles de la terre qu’il a retournée contre la terre. Il a étouffé la voix de toutes les sirènes qui viennent de la mer et de l’air. Il a extrait. Il a broyé. Il a exploité. Il a jeté et il jette et il rejette. Il jette ses ordures à la face de la terre. Monde immonde de lixiviats dégoulinants dans les interstices du décor. Derrière. Décharges à ciel ouvert où les nourricières mangent des seringues, les petits s’étouffent avec des sacs en plastique, et tous sont drogués à l’odeur de charogne.

Orphée sanglote maintenant. Le négociateur est désemparé. Il souffle, il sue sous le soleil. Moi aussi, mais la pulse dans mes veines a changé de tempo et frappe une mesure nouvelle. Ça va être à moi. La troupe derrière nous s’est déplacée. Elle s’est un peu tassée dans l’ombre raccourcie de la grande aiguille dessinée au sol par l’éolienne. On entend les pas d’Orphée. Il crie qu’il va redescendre. Retrouver le chemin des enfers aujourd’hui tellement encombré. Mon palais se soulève. Le négociateur l’interpelle. Orphée crie qu’il s’unira à d’autres, qu’ils iront dans l’herbe à plat ventre, qu’ils traverseront le charnier des odeurs à plein nez. »

Aujourd’hui Eurydice, Interlude

Avant la fin… > Hor che’l ciel i la terra, Madrigaux, Livre 8

« Maintenant que le ciel. Et la terre. Et le vent se tait. Voilà le sommeil qui freine celles qui courent et ceux qui s’envolent. Voilà la nuit. Et le fourgon aux étoiles qui roule à l’infini. Et l’océan sans onde qui s’étend dans son lit. Et moi. En moi. Le feu, les pleurs. Je suis défaite. Ça, il y a la douceur, mais il y a ma peine. Il y a la guerre en moi, de rage et de deuil pleine. Mais une pensée seule et c’est la paix, un peu de paix. Ça. Ma claire source seule et vive. Douce. Amère, flux que je bois. Ça a seule main qui me soigne et m’empoigne. Témoin de la rive qui ne se rejoint pas. Mille jours en un jour je meurs. Mille. Et un jour, je nais. Loin. Suis loin. Si loin. »

Aujourd’hui Eurydice, chapitre IV, d’après le poème de Pétrarque, Hor che’l ciel.

Distribution

La messagère  Eurydice Orphée Caronte

La messagère 

Silvia Hamadryade

Après des débuts sous le stylet d’Ovide comme nymphe anonyme, Silvia Hamadryade obtient un rôle chanté dans L’Orfeo de Monteverdi, celui de la messagère d’Eurydice. Elle revient à la scène dans des rôles mineurs en tant qu’enquêtrice de milieu et souffleuse auprès des forcenés avec lesquels négocie le Groupe d’Intervention avant prise d’assaut ou reddition.

Eurydice

Dora Hamadryade

Immigrée et digne descendante de Médée et de Proserpine, Dora Hamadryade développe des pratiques magiques lui permettant de se tenir aux portes des enfers. Elle tient aujourd’hui le restaurant La Caravelle dans la anse de Ponteau, à côté des usines de Lavéra, où elle organise des cérémonies d’exil pour les réfugiés climatiques.

Orphée

NC

Urgent — malgré l’annonce (Recherche homme occidental ne doutant pas de son talent, qui, après avoir cru à la globalisation souhaite se terrestrialiser), aucun prétendant au rôle ne s’est présenté.

Caronte

Paul Archive-de-Port-Silène

De son nom d’origine, Paulo Arquivo-do-Porto-Silene-da-Sardinha, cet archiviste immigré garde la mémoire du canal de Caronte, entre la mer Méditerranée et l’Étang de Berre.

avec la participation de :

Contingent de l’Olympe Chœur des esprits de l’enfer Chœur des bergers et des bergères

Contingent de l’Olympe

Le Groupe d’Intervention

Unité d’élite spécialisée dans la gestion de crise et dans les missions demandant un savoir particulier, notamment dans les domaines de l’intervention en situation de retranchement, de l’observation et de la recherche sur les milieux et la protection des sites menacés. Leur participation active à Aujourdhui Eurydice, en tant que Contingent de l’Olympe, est le fruit d’une résidence artistique (subventionnée par l’Agence nationale de Santé) de plusieurs mois visant à soulager les corps et les esprits sous tension perpétuelle.

Chœur des esprits de l’enfer

D’anciens ouvriers des établissements Kuhlmann-Azur Chimie

Rencontrés lors d’une enquête de milieu de Silvia Hamadryade, ces sept anciens ouvriers de la dernière usine chimique du rivage du canal de Caronte lui ont révélé ce qu’il en reste, dans les cœurs, dans les corps et dans les sols… témoins et sentinelles du milieu, c’est donc tout naturellement qu’ils se sont trouvés devenir le chœur des esprits de l’enfer.

Chœur des bergers et des bergères

Des réfugiés climatiques

Que les milliers de figurants qui se sont présentés sur les côtes méditerranéennes endiguées soient ici remerciés, et tout particulièrement les Philippins du Foyer des marins de Port-Silène, qui ont su rassembler dans une incroyable parade Néerlandais, anciens habitants de Tuvalu, Cajuns de Louisiane, Bangladais, Guinéens… pour une commémoration de leurs territoires devenus inhabitables.

et un agencement de :

Musique  Écriture Scénographie

Musique 

Claudio Monteverdi

Dans le cadre d’études humanistes, Monteverdi étudie l’orgue, la viole, le chant et le contrepoint. Il se fait connaître à vingt ans lors de la parution de son premier Livre de madrigaux à 5 voix – il y en aura huit en tout. En 1590, Monteverdi est engagé par le Vincenzo Ier de Gonzague, duc de Mantoue. Il se consacre aux madrigaux et à la musique sacrée mais également au genre nouveau de l’opéra, d’abord avec L’Orfeo en 1607. Cette œuvre scénique est un immense succès, qui marque d’après certains la naissance de l’opéra. En 1613, Monteverdi devient maître de chapelle de San Marco de Venise, poste qu’il occupe jusqu’à sa mort.

Écriture

Claire Dutrait

Ballotée dès sa plus tendre enfance dans des univers très clos et très peu pérennes, Claire Dutrait a pris l’habitude de se raconter des histoires dans les interstices du décor. Ses premières pratiques d’écriture, en latin et grec ancien, lui ont valu quelques reconnaissances institutionnelles. Mais c’est en fondant Urbain, trop urbain, dont elle devient responsable de la trame littéraire, qu’elle tisse des phrases qui l’attachent au monde d’aujourd’hui. Auteure diffractée entres écritures numériques et sur papier, individuelles ou collectives, documentaires, littéraires et de sciences humaines, elle a aussi une pratique du chant et de la scène, notamment dans l’ensemble vocal et instrumental À bout de souffle.

Scénographie

Tous les scénographes aux identités multiples qui modèlent notre monde, son eau, sa terre, son feu, son air jusqu’à modifier nos molécules même.

Albemarle, Arkema, Ato, Atochem, Atofina, Azur Chimie, BP, BP Chemicals, Chevron, Elf, Exxon Mobil, Grande Paroisse, ICIG, Kuhlmann, Naphtachimie, Pechiney, PUK, Shell, Total, Ugine, Vieille Montagne… sont quelqu’uns d’entre eux. Que les autres nous pardonnent de ne pas êtres cités ici malgré le grand œuvre auquel ils aspirent depuis deux siècles maintenant, de nous mettre dans l’obligation de créer quatre autres planètes pour vivre au rythme qu’ils nous imposent, et de faire muter nos corps pour les adapter aux substances qu’ils inventent.

Le livre

Retranchée dans un appartement, la messagère d’Eurydice revient sur les évènements qui l’ont amenée à trahir le Groupe d’Intervention. État d’urgence, catastrophes industrielles, pollutions, montée des eaux... Au cours d’une de ses enquêtes, la messagère retrouve Orphée. Il a entrepris de redescendre aux enfers mais, hors-sol depuis longtemps, le héros n’a plus de repères... La messagère l’accompagne, le guide, lui souffle son rôle et lui montre les boucles baroques d’un monde en mouvement. Tout est lié dans ce roman aux multiples facettes qui tente de saisir les dérèglements de notre époque : réécriture du mythe, matière musicale issue de l’opéra de Monteverdi, fable écologique, poésie pétrochimique... Orphée, héros en fuite traqué par des forces contraires, et dénominateur commun de cet étonnant tumulte, cherche une main tendue. Aujourd’hui Eurydice.
Avec ce premier roman, Claire Dutrait compose une œuvre ouverte, prise entre un livre papier, un livre numérique (avec boucles rétroactives), un site « avant-scène » et des performances pour donner à voir et à entendre un opéra qui n’existe pas.

Auteur Claire Dutrait
Éditeur éditions publie.net
Date de parution 25/04/2018
ISBN papier 978-2-37177-548-0
Prix papier (version numérique comprise) 14€
Nombre de pages 144
Poids 158 g
Dimensions 20.3 x 13.3 cm
ISBN numérique 978-2-37177-186-4
Prix numérique (avec boucles rétroactives) 5,99€

En échos

Ce projet est apparu parmi les échanges avec Matthieu Duperrex et Gabriel Dutrait, compagnons de route depuis bien avant le début d’Eurydice, auxquels s’est adjointe Raphaèle Dumas. Ensemble et singulièrement, nous avons ouvert des chemins sur les territoires pétrochimiques, celui du sud de la Nouvelle Orléans, et celui de l’ouest de Marseille, à Port-de-Bouc. Leurs créations sur ces mêmes territoires sont à découvrir ici :

  • Matthieu Duperrex : Sédiment(s) et Mississippi Riverbook (avec Frédéric Malenfer), deux livres numériques.

http://www.urbain-trop-urbain.fr/sediments
http://www.urbain-trop-urbain.fr/mississippi-riverbook

  • Gabriel Dutrait : Décade, film 16 mm, 12 min, couleur, 2017 — Nouvelle Orléans, 29 août 2015, dix ans après l’ouragan, une histoire de souffle.

https://www.urbain-trop-urbain.fr/decade

  •  Raphaèle Dumas et Gabriel Dutrait : La sardine, le romarin et la torchère, un projet de documentation, par les arts et les sciences, du territoire de Port-de-Bouc, ayant abouti à une exposition au Centre d’arts Fernand Léger de Port-de-Bouc, du 16 au 26 décembre 2016.

https://sardineromarintorchere.com